Failure to Rescue comme indicateur de qualité chirurgicale
La survenue de complications postopératoires est une source majeure de morbidité, et d'augmentation significative des coûts de prise en charge périopératoire[1]. A cause de leur impact majeur, plusieurs complications spécifiques sont utilisées comme des indicateurs de la qualité de prise en charge chirurgicale. Par exemple, les taux d'infections des sites opératoires, de complications thrombo-emboliques, de fistules anastomotiques ou de réadmissions sont fréquemment utilisés pour auditer la qualité de prise en charge après chirurgie abdominale[2]. La réduction du taux de complications est aussi l'un des objectifs principaux des initiatives d'amélioration qualité en milieu chirurgical. Ces initiatives sont souvent basées sur le contrôle des facteurs prédisposant à la survenue de complications. Par exemple, l'implémentation de mesures telles que la formation du personnel, la promotion de l'hygiène des mains, le respect de l'asepsie et une optimisation de l'utilisation de l'antibioprophylaxie pourrait être faite pour réduire de taux d'infection post opératoires[3].
Il y a deux critiques principales à ces approches centrées sur les complications postopératoires:
- la survenue de complications postopératoires est un événement complexe dont les causes sont multifactorielles et parfois inconnues, difficiles à mesurer ou à contrôler
- Malgré une très bonne implémentation des initiatives qualité, le bénéfice sur la réduction des taux de complications n'est pas clairement démontré ([2]). De ce fait, les complications postopératoires ne peuvent pas être complètement prévenues, et donc, se concentrer sur la réduction du taux des complications comme indicateur de la qualité de la prise en charge chirurgicale ne serait pas optimal[1].
Le concept "Failure to rescue" FTR (ou échec de sauvetage) a été introduit par Silbet et al. dans les années 1990, et est devenu récemment un indicateur majeur de qualité chirurgicale dans de nombreux pays occidentaux[4]. Il est défini par le décès d'un patient après la survenue d'une ou plusieurs complications. Le taux de FTR est calculé comme suit:
Nombre de patients décédés après survenue d'une complication / Nombre total de patients qui ont eu une complication
Il y a trois principales raisons pour lesquels le concept de FTR a gagné en popularité:
- Le FTR implique que les complications postopératoires sont inévitables, même quand la prise en charge chirurgicale a été optimale.
- Le type de facteurs de risque associés à la survenue de mortalité est différent de celui de survenue de complications postopératoires. La mortalité est souvent associée aux caractéristiques des structures de soin (service, hôpital, environnement de travail), alors que les complications sont souvent associées aux caractéristiques des patients (co-morbidités, fragilités...). Le taux de FTR serait donc un meilleur indicateur de la qualité de prise en charge (et donc de la structure de soins) par rapport au taux de complications.
- Finalement, le concept de FTR est basé sur l'hypothèse qu'une détection et une prise en charge rapide des complications pourrait profondément améliorer le devenir des patients[4]. Ces deux paramètres (détection et traitement précoces) sont modifiables/améliorables et dépendent presque exclusivement des caractéristiques de la structure de soins (ressources humaines, matérielles, organisation, culture de la sécurité...). De ce fait, les initiatives d'amélioration de la qualité, en mettant en place des stratégies d'amélioration ciblant ces paramètres permettrait de réduire la mortalité postopératoire.
L'un des principaux avantages du FTR a été sa capacité de discriminer entre les performances des hôpitaux et des services[2]. Aux états-unis, FTR a été un important facteur expliquant les variations nationales dans les résultats postopératoires entre les hôpitaux. Il est donc utilisé depuis 2010 comme un indicateur qualité majeur, publiquement rapporté par les hôpitaux américains. En Europe, la différence entre les centres à haut et à faible volume est souvent dans la mortalité suivant la survenue de complications postopératoires que dans le taux de complications lui-même.
Certaines limites de l'utilisation du FTR comme indicateur qualité ont été rapportées. Il y a une grande variabilité dans la définition du FTR, particulièrement dans la définition des complications à prendre en considération pour le calcul du taux de FTR. Ceci rend difficile l'interprétation des résultats de la littérature[5]. Une définition courante définit le FTR comme tout décès survenant après l'une des complications suivantes[5]:
- Cardiaques: arythmie cardiaque, arrêt cardiaque, insuffisance cardiaque congestive
- Respiratoire: pneumonie, pneumothorax, bronchospasme, insuffisance respiratoire, pneumonie par aspiration.
- Hémodynamique: hypotension, choc, hypovolémie, saignement gastro-intestinal, perte de sang.
- Neurologique: accident vasculaire cérébral, attaque ischémique transitoire, convulsions, psychose, coma.
- Thromboembolique: thrombose veineuse profonde , embolie pulmonaire, caillot artériel, phlébite.
- Dommages aux organes internes, retour à la chirurgie; péritonite intestinale, occlusion intestinale.
- Infectieuse: infection profonde de la plaie, septicémie, gangrène, amputation.
- Autres: insuffisance rénale, hépatite; pancréatite; ulcères de décubitus, complications orthopédiques et syndromes des loges.
L'autre limite est la fiabilité de mesure du FTR comme indicateur qualité. En effet, une mesure fiable présuppose que les services de chirurgie disposent d'un système fiable de documentation de toutes les complications postopératoires. Dans la littérature, FTR est souvent mesuré en utilisant des bases de données larges administratives qui, sont faibles pour la captation exhaustive des suites opératoires. L'autre source de données sont des études rétrospectives, qui par leur nature, impliquent aussi une grande probabilité de données manquantes. Finalement, prendre en considération le décès comme critère de jugement pourrait ne pas toujours être une mesure centrée sur le patient. En effet, un patient pourrait éviter le décès mais garder des séquelles non désirées par lui et qui détériorent son fonctionnement ou/et sa qualité de vie.
Néanmoins, FTR reste un très bon critère de jugement de la qualité de prise en charge chirurgicale et un bon critère pour les initiatives d'amélioration de la qualité de prise en charge chirurgicale.
Références
[1] Portuondo JI, Shah SR, Singh H, Massarweh NN. Failure to Rescue as a Surgical Quality Indicator: Current Concepts and Future Directions for Improving Surgical Outcomes. Anesthesiology 2019;131:426–37.
[2] Stulberg JJ, Delaney CP, Neuhauser DV, Aron DC, Fu P, Koroukian SM. Adherence to surgical care improvement project measures and the association with postoperative infections. JAMA 2010;303:2479–85.
[3] Jin J, Akau Ola S, Yip C-H, Nthumba P, Ameh EA, de Jonge S, et al. The Impact of Quality Improvement Interventions in Improving Surgical Infections and Mortality in Low and Middle-Income Countries: A Systematic Review and Meta-Analysis. World J Surg 2021. https://doi.org/10.1007/s00268-021-06208-y.
[4] Silber JH, Williams SV, Krakauer H, Schwartz JS. Hospital and patient characteristics associated with death after surgery. A study of adverse occurrence and failure to rescue. Med Care 1992;30:615–29.
[5] Silber JH, Romano PS, Rosen AK, Wang Y, Even-Shoshan O, Volpp KG. Failure-to-rescue: comparing definitions to measure quality of care. Med Care 2007;45:918–25.