L’exérèse totale du mésocôlon pour le traitement des l’adénocarcinome colique
Par Dr Elhassouni Mohammed Reda
Introduction
Le cancer colorectal est l’un des cancers les plus fréquents dans les pays occidentaux et le premier cancer digestif au Maroc. Dans le monde, plus d'un million de personnes par an développent cette tumeur et plus de la moitié d'entre elles en meurent.
Au cours des 20 dernières années, la chirurgie du cancer colorectal s'est principalement concentrée sur le cancer du rectum, avec une standardisation du concept d'exérèse totale du mésorectum (ETM). Cependant, le même type de standardisation opératoire n'a pas été atteint pour la chirurgie du cancer du côlon.
Ceci est d’autant plus évident qu’historiquement, la survie des patients souffrant d'un cancer du côlon était toujours supérieure de 5 à 10 % à celle des patients atteints de cancer du rectum . Avec l'amélioration du traitement du cancer du rectum, cette situation a changé au cours des dernières années dans plusieurs pays avec un pronostic plus défavorable, maintenant pour le cancer du côlon.
Cette observation soulève la question de savoir si la chirurgie du cancer du côlon peut être encore améliorée en implémentant un traitement chirurgical analogue au concept d’ETM.
Concept
Le concept d'ETM est basé sur une dissection précise suivant les plans anatomiques embryologiques, notamment en séparant nettement le fascia viscéral du fascia pariétal conduisant à une pièce chirurgicale avec une couverture intacte non seulement de la tumeur rectale, mais également des principaux drainage lymphatique situés dans ce mésorectum.
Ces plans embryologiques ne sont pas limités aux aux couches du mésorectum mais se poursuivent jusqu'au côlon sigmoïde et au côlon descendant sur le côté gauche, et postérieurement derrière le pancréas et autour de la rate, incluant aussi le duodénum avec la tête du pancréas ainsi qu’au cæcum avec le côlon ascendant et la racine mésentérique sur le côté droit.
Comme pour le rectum, dans le cancer du côlon la propagation lymphatique suit principalement le drainage lymphatique le long des artères. Ceci a donné naissance au concept d'excision mésocolique complète (ECM) .
Technique
L'exérèse complète du mésocôlon repose sur les principes suivants:
- Séparation du plan viscéral du plan pariétal: comme pour l’ETM, l'intégrité du mésocôlon doit être strictement préservée. En effet, l'intégrité d'une enveloppe embryologique autour du mésocôlon garantit un paquet tumoral intact ainsi qu'un curage ganglionnaire adéquat. Les ruptures d'intégrité du mésocolon peuvent conduire à une dissémination des cellules tumorales dans la cavité péritonéale.
- Curage ganglionnaire: La dissémination lymphatique du cancer du côlon est d'abord localisée dans les ganglions lymphatiques péri-coliques, mais pas à plus de 8 cm du cancer primitif. Puis dans les ganglions lymphatiques suivant du centre vers les artères. L’approche basée sur l'intégrité du mésocôlon permet donc un curage lymphatique maximisé.
- Ligature centrale des artères à leurs origines: comme les métastases des ganglions lymphatiques se développent le long des artères mésentériques, une véritable ligature vasculaire centrale garantit un prélèvement maximal des ganglions lymphatiques. Ce principe semble être d'une importance capitale.
- Résections multiviscérales: si des organes sont attachés à la tumeur, le plan de dissection est étendu au plan suivant, au-delà de l'organe ou de la structure impliquée non envahie. Cette dissection est réalisée en bloc, car la tentative de séparer les structures fixes pour confirmer l'infiltration tumorale réelle conduirait à une exposition de la tumeur dans la cavité péritonéale, avec ses conséquences oncologiques telles que la carcinose péritonéale, la récidive loco-régionale et la détérioration ultérieure du pronostic.
L'étendue des gestes chirurgicaux est déterminée par la localisation du cancer et le modèle de propagation lymphatique.
Résultats
L’étude pionnière dans ce domaine est l’étude rétrospective de Hohenberger et al. parue en 2008. Au-delà d’une description du concept d'exérèse complète du mésocôlon et de la technique chirurgicale, elle a mis en évidence l’amélioration de la survie liée au cancer grâce à cette technique, avec un taux de survie globale à 5 ans de 85%. Cette étude a également permis de mettre en évidence l'importance d’un curage ganglionnaire adéquat et son apport pronostic. En effet, la médiane de ganglions lymphatiques prélevés était de 32 par patient avec une nette différence de pronostic entre les cas où moins de 28 ganglions ont été prélevés ( survie à 5 ans de 90% ) et les cas où le prélèvement a dépassé les 28 ganglions (survie à 5 ans de 96%). Cette étude a montré à long terme un taux de récidive locorégionale inférieur à 5%.
Afin de comparer l’ECM à une résection classique dite D2, nous nous intéressons à l’essai randomisé de Lai Xu et al. paru dans le Lancet Oncol en 2021, comparant les deux techniques sus-citées à court terme pour les cancers du colon droit. Si cette étude à court terme n’a pas permis pas de tirer des conclusions concernant la survie ou la récidive loco-régionale, elle a permis d’affirmer la sécurité de l’ECM comparativement à une résection classique. En effet, l’essai a montré des résultats similaires en ce qui concerne les complications grade I-II Clavien-Dindo, et une supériorité de l’ECM par rapport à une résection D2 concernant les complications plus graves de grade III-IV avec respectivement 1% et 2% de complications. Les complications grade V quant à elles sont similaires: il n’y a eu aucun décès dans les deux groupes. Cependant le groupe d’ECM avait significativement plus de lésions vasculaires per opératoires ( 3% contre 1%). Les auteurs ont conclu à la sécurité et la faisabilité de l’ECM pour les tumeurs du côlon droit au vu de ces résultats.
Plusieurs méta-analyses ont comparé l’ECM et les techniques classiques D2 ont été publiés, incluant essentiellement des études rétrospectives. Elles n’ont montré aucune différence significative en termes de morbidité et de mortalité postopératoires entre les deux approches. Cependant, les données portant sur la survie globale et le taux de récidives penchent en faveur de l’ECM. Les résultats à long terme d’essais randomisés sont nécessaires pour confirmer l’avantage de la survie de l’ECM.
Conclusion
L’ECM se présente donc comme un concept tiré de l’ETM dont elle partage les principes chirurgicaux. Elle repose sur l'intégrité du mésocôlon et la ligature artérielle centrale à l’origine garantissant une tumeur intacte et un curage ganglionnaire adéquat.
Les différentes études sur ce sujet ont montré de la sécurité et de la faisabilité de cette approche d’une part, et suggèrent des résultats supérieurs en matière de survie et de récidives d’autre part.
Références
1- Hohenberger W, et al. Standardized surgery for colonic cancer: complete mesocolic excision and central ligation--technical notes and outcome. Colorectal Dis. 2009 May;11(4):354-64; discussion 364-5. doi: 10.1111/j.1463-1318.2008.01735.x. Epub 2009 Nov 5. PMID: 19016817.
2- Lai Xu,et al. Short-term outcomes of complete mesocolic excision versus D2 dissection in patients undergoing laparoscopic colectomy for right colon cancer (RELARC): a randomised, controlled,phase 3, superiority trial, Lancet Oncology, Vol 22, Issue 3, p391-401, march 01, 2021
3- Zachariah Gene Wing Ow et al. Comparing complete mesocolic excision versus conventional colectomy for colon cancer: A systematic review and meta-analysis, European Journal of Surgical Oncology, Volume 47, Issue 4, 2021,Pages 732-737.